tout s’incarne difficilement en moi alors que je voudrais surtout écrire de beaux mots, en rose saumoné, et m’en faire des costumes dans lesquels je disparaîtrais enfin, reproduction de cette petite fille noyée sous les manteaux de fourrure des femmes de la famille, une respiration feutrée sous des couches d’odeurs et d’existences féminines. j’aimerais être une youtubeuse dynamique, ne pas dire oh, moi, je suis secrète et mystérieuse, j’accroche des troubles et des dépeuplements à mes épaules, je cherche ma voix dans ma propre mort. être une femme populaire sur instagram qui n’a de fonction qu’être heureuse ou vendre un corps ou un produit ou une vision de piscine bleu marine logée dans un œil parfaitement maquillé, être une surface numérique vide de toute lourdeur. une paix digitale, ordonnée métriquement. je sors du gym je suis morte je suis un ange et je danse dans l'ascenseur qui me mènera à mon palace de marbre mouillé et de palmiers qui murmurent des cous d’actrices égéries. au fond, ce que je voudrais, c’est effacer toutes les traces de moi - virtuelles, visuelles, physiques - parce que mes incarnations finissent par m’épuiser, m’énerver ou me dégoûter. de toutes les femmes, c’est moi qui irai en prison, à qui on tondra les mèches et qu’on dépouillera de ses maquillages. c’est pascale qui partira vers un endroit où on pourra l’oublier, murmurer des secrets qui ne la concernent surtout pas
Pascale Bérubé, Trop de Pascale, Éditions Triptyque, coll. queer, 2023, p. 11-12.